Les temps forts des collections femme printemps-été 2026

By on 09/10/2025

Alors que l’industrie du luxe fait face à une conjoncture économique tendue, de nombreuses maisons ont choisi de repenser leur identité en profondeur. Résultat : un vaste jeu de chaises musicales parmi les créateurs, donnant lieu à l’un des plus grands mercatos de directeurs artistiques de l’histoire de la mode.

 

À travers Milan, New York et Paris, Fashion-Spider s’intéresse cette saison non pas aux défilés les plus spectaculaires, mais à ceux qui marquent l’arrivée de nouveaux talents à la direction artistique. Un nouveau souffle, souvent audacieux, porté par des créateurs appelés à redéfinir l’ADN des maisons qu’ils investissent.

Gucci : Demna signe un retour explosif avec The Tiger

Alors que tout le monde attendait le défilé Gucci par Demna, ce dernier a créé la surprise en proposant un film de 30 minutes.
Baptisé The Tiger, le court-métrage co-réalisé par Spike Jonze et Halina Reijn, a été dévoilé en grande pompe le 23 septembre 2025 à Milan, à l’occasion de la Fashion Week. Ce film original signé Gucci n’est pas un simple exercice esthétique : il a servi de défilé pour la première collection de Demna en tant que directeur artistique de la maison italienne.

La collection, intitulée La Famiglia, trouve un écho direct dans le film, qui explore avec ironie et tension les dynamiques d’une famille dysfonctionnelle au sommet d’un empire de mode fictif.
Dans l’univers de The Tiger, Barbara Gucci (interprétée par Demi Moore) réunit ses enfants et un journaliste pour célébrer son anniversaire dans leur villa milanaise. Derrière les apparences de luxe et d’harmonie familiale se cachent des conflits enfouis. Mais c’est lorsqu’un mystérieux champagne, visiblement altéré par des substances psychédéliques, est servi, que les masques tombent. Les convives se laissent aller à des confessions délirantes, des hallucinations animalières, et des règlements de compte cruels. Chaque personnage devient une caricature de lui-même — reflet acerbe de l’industrie de la mode et du poids des dynasties.

Le casting impressionne : Edward Norton, Elliot Page, Keke Palmer, Julianne Nicholson, Alia Shawkat, Ronny Chieng, et même Kendall Jenner et la mannequin Alex Consani qui incarnent cette “famille” aussi théâtrale qu’iconique. Les costumes, tous issus de la collection La Famiglia, sont intégrés dans le scénario avec humour et sophistication.

La première mondiale du film à Milan a pris la forme d’un véritable défilé immersif, avec tapis rouge, projection cinématographique, et mannequins costumés dans les rôles des personnages du film. L’événement a attiré un parterre de célébrités, avec les acteurs du film bien sûr, mais aussi des invités prestigieux comme Gwyneth Paltrow, Serena Williams, Lila Moss, et des figures majeures de la mode comme François-Henri Pinault (président de Kering), Luca de Meo (CEO), et Francesca Bellettini (nouvelle PDG de Gucci).

La soirée marque un tournant artistique majeur pour Gucci, qui ouvre un nouveau chapitre sous la direction de Demna, après l’ère Alessandro Michele. Avec The Tiger, la maison italienne s’offre non seulement un coup médiatique, mais aussi un statement créatif : la mode, chez Gucci, est désormais une affaire de narration totale, où les vêtements deviennent des personnages.

La grande force de Demna pour cette première collection réside dans le fait d’avoir longuement travaillé sur l’ADN de la marque, en puisant dans ses différentes époques. Au lieu de faire table rase du passé, il reprend les plus grands classiques des différents directeurs artistiques. De Guccio Gucci, fondateur de la griffe, à l’incontournable Tom Ford qui replacera la maison à son firmament à partir de 1994, en passant par Frida Giannini, qui apporta un nouveau souffle romantique durant son passage de 2006 à 2014, et enfin Alessandro Michele, qui, à partir de 2015, révolutionne totalement la maison avec un style maximaliste, androgyne, baroque et vintage. Une vision qui permettra à Gucci de se hisser parmi les maisons les plus rentables au monde, avant une chute effrénée des ventes, due à un manque de remise en question, Michele étant persuadé du bien-fondé de son style.

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La collection La Famiglia a été mise en vente dans dix boutiques exclusives, du 25 septembre au 12 octobre 2025.

 

Versace au régime sec: Dario Vitalé tue le glamour


Après des décennies de luxe assumé orchestré par Donatella, la maison italienne tourne brutalement une page sous la houlette de son nouveau propriétaire, Prada, qui n’a pas hésité à imposer l’arrivée de Dario Vitalé aux commandes artistiques.

Fini les silhouettes saturées de strass et d’imprimés, place à une esthétique dépouillée, presque ascétique. Une révolution silencieuse ou le coup de grâce porté à l’ADN flamboyant de Versace ?

Cette première collection n’a de Versace que de lointains souvenirs, à peine un clin d’œil à la ligne bis Versus, autrefois plus underground et provocante. Mais même cette énergie semble ici absente. L’ensemble ressemble davantage à une variation post-minimaliste d’un défilé Paul Smith, où les coupes sages, les palettes neutres et une rigueur presque androgyne dominent.

Une orientation qui fait voler en éclats la sensualité outrancière et hyper-féminine de l’ère Donatella. Si, jusqu’à maintenant, la féminité était le pilier fondateur de la maison, chez ce nouveau Versace version Vitalé, elle disparaît au profit d’une neutralité froide, presque clinique. Même quand Vitalé tente de s’exercer au sexy, il n’en est rien. Un choix radical, stratégiquement aligné avec la vision de Prada, mais qui risque de laisser les amateurs du glamour décadent de la maison sur le carreau.

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Les seuls points lumineux : une série de « marcels » revisités, à la fois graphiques et sensuels, qui apportent un soupçon de fraîcheur dans cette mer de retenue. Une proposition qui pourrait séduire une clientèle plus jeune, avide de pièces simples mais identitaires. Est-ce suffisant  toutefois suffisant pour redéfinir une marque aussi chargée d’histoire ?

 

Loewe : McCollough & Hernandez imposent leur vision

Autrefois, les couturiers tenaient à leur nom comme à un héritage sacré, à l’image de Cristóbal Balenciaga, qui choisit de fermer les portes de son atelier lors de sa retraite, refusant que son œuvre soit dénaturée. Aujourd’hui, les créateurs semblent moins attachés à cette idée. Ainsi, Jack McCollough et Lazaro Hernandez, fondateurs de Proenza Schouler en 2002, ont quitté leur propre marque cette année pour prendre les rênes de Loewe, après le départ de Jonathan Anderson.

Pour leur première collection femme chez la griffe espagnole, le duo met l’accent sur le savoir-faire artisanal, et plus particulièrement sur le travail du cuir, avec des pièces rigides transformées en mini-robes, vestes et sacs spacieux. Pour contrebalancer cette structure, des robes fluides aux volants colorés, inspirées du flamenco, viennent apporter mouvement et légèreté.

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La collection est accueillie avec enthousiasme : elle propose une continuité du travail d’Anderson, tout en insufflant une énergie plus charnelle et audacieuse.

Malgré ce changement de cap, McCollough et Hernandez restent à la tête de la direction créative globale de Proenza Schouler. Pour assurer leur succession, Rachel Scott a été nommée directrice artistique. Elle présentera officiellement sa vision en février 2026 avec la collection automne-hiver 2026-27, mais a d’ores et déjà co-signé la collection printemps-été 2026 avec le studio interne. Une entrée en matière prometteuse.

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Bottega Veneta : Louise Trotter, une modernité maîtrisée

Autre transfuge particulièrement remarqué : Louise Trotter, désormais à la tête de Bottega Veneta. Présenté le 27 septembre lors de la Fashion Week de Milan, son premier défilé pour la maison italienne membre du groupe LVMH, a été largement salué par la critique et le public.

Succédant à Matthieu Blazy, parti chez Chanel, Trotter revisite les grands classiques de la maison avec une approche résolument contemporaine. Si le cuir reste un pilier de l’ADN Bottega, elle introduit également des pièces aux couleurs vives, réalisées à partir de fibres de verre recyclées, donnant naissance à une garde-robe pointue, urbaine et consciente.

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Sans révolutionner la marque, elle l’inscrit dans une nouvelle ère plus féminine, sans jamais trahir son héritage.

 

Dior : Jonathan Anderson en quête d’un nouveau langage

Après avoir cassé les codes de Dior Homme en juillet dernier, Jonathan Anderson poursuit sa mission de refonte stylistique avec son tout premier défilé femme pour Dior.
À l’image de sa collection masculine, il propose une lecture personnelle des codes Dior, mais le résultat s’avère déroutant. Une collection brouillonne, destinée à une clientèle plus jeune, où le glamour et l’élégance se font rares.

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Malgré cela, Anderson reste le favori du public et un protégé de Bernard Arnault, grâce à son triomphe incontesté chez Loewe. Le défi qui s’impose à lui désormais : créer le sac iconique qui viendra marquer sa propre ère chez Dior.

 

Mugler : Carlos Freitas, sensualité maîtrisée

Alors que tout semblait aller pour le mieux chez Mugler depuis l’arrivée de Casey Cadwallader, ce dernier a été remplacé en mars 2025 par Carlos Freitas.

Diplômé de Central Saint Martins, passé par des maisons prestigieuses telles que Dior, Saint Laurent, Lanvin, Sportmax et Dries Van Noten, Freitas livre une première collection solide, en jouant avec les codes emblématiques de Mugler, tout en y injectant une sensualité plus contemporaine.

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S’il bénéficie du temps et de la confiance nécessaires, Carlos Freitas pourrait bien assurer la pérennité d’une maison récemment revenue sur le devant de la scène internationale.

 

Balenciaga : Pierpaolo Piccioli réinvente l’élégance

Véritable point d’orgue de cette Paris Fashion Week, le défilé Balenciaga concentrait toutes les attentes. Après dix années d’un règne incontesté de Demna, la maison opère un tournant stylistique avec l’arrivée de Pierpaolo Piccioli.

Le créateur redonne à Balenciaga un souffle couture, sans pour autant nier l’héritage de son prédécesseur, perceptible à travers des détails comme les lunettes-masques ou certaines coupes futuristes.

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Avec ce vestiaire, Piccioli met fin aux polémiques et amorce le virage d’une élégance parisienne assumée, sans sombrer dans le classique ennuyeux.

 

Jean Paul Gaultier : Duran Lantink en terrain glissant

Depuis la nomination de Duran Lantink à la tête du style de Jean Paul Gaultier, tous attendaient impatiemment le retour de la maison au calendrier du prêt-à-porter.

Son arrivée, saluée pour la fin du système de créateurs invités et le choix d’un designer engagé en faveur de l’upcycling, avait suscité de grandes attentes.

Mais Lantink a annoncé ne pas vouloir puiser dans les archives pour sa première collection, préférant imaginer une continuité créative. Résultat : une collection très personnelle, où les références à Jean Paul Gaultier se font rares, caricaturales et vulgaires.

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S’il est évident qu’un directeur artistique a besoin de temps pour imposer sa vision, encore faut-il que les premiers pas définissent une direction claire. Faute d’un repositionnement rapide, l’attente pourrait sembler longue… Et il est peu probable que le groupe Puig lui accorde une patience illimitée.

 

Chanel : Matthieu Blazy, l’étoffe d’un couturier

S’il est une collection qui suscitait toutes les attentes cette saison, c’est bien celle de Matthieu Blazy pour Chanel. Nommé à la direction artistique de la plus grande maison de luxe française en décembre 2024, il aura fallu patienter plus de neuf mois avant de découvrir la vision qu’il souhaite insuffler à l’avenir de la griffe.

Avec une intelligence de lecture rare, Blazy revisite les codes emblématiques de Chanel sans chercher à marcher dans les pas de Karl Lagerfeld ou de Virginie Viard. Dans un défilé magistral, il pose les jalons de ce qu’il envisage pour le futur de la maison : un hommage maîtrisé, mais résolument tourné vers une nouvelle modernité.

Il en résulte une collection moins immédiatement “Chanel” dans son esthétique, où le vêtement reprend le devant de la scène et où les accessoires s’effacent avec subtilité. Si le tweed demeure un fil conducteur, il s’efface au profit de tailleurs-pantalons empruntés au vestiaire masculin – clin d’œil élégant à la passion de Gabrielle Chanel pour les vêtements d’homme.

Côté soirée, les silhouettes prennent un véritable coup de frais : robes de satin fluides épousant les mouvements du corps ou pièces spectaculaires aux volumes inédits, brodées de plumes et pensées pour capter la lumière.

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Cette proposition, saluée pour sa fraîcheur et son élégance, a toutefois divisé une partie de la critique, certains regrettant une vision encore en construction ou une certaine discrétion des codes iconiques de la maison. Une réserve qui n’enlève rien à la cohérence de ce premier manifeste, pensé comme une entrée en matière plus qu’un coup d’éclat.

En résumé, Matthieu Blazy signe une entrée remarquée dans l’univers de la couture avec une collection à la fois désirable, maîtrisée et parfaitement commerciale. Un vestiaire contemporain, pensé pour séduire la clientèle maison en quête de pièces élégantes, ancrées dans l’air du temps – bien plus que dans les saisons précédentes. Avec ce premier opus, le créateur belge suscite déjà l’impatience de découvrir ses prochaines propositions pour la collection Métiers d’art et la Haute Couture.

Frédéric Blanc

About Fred

Frédéric Blanc, styliste photo, attaché de presse et fashion éditor de Fashion-spider, le magazine spécialisé mode et beauté, fait partie des figures incontournables de Paris.

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