Boris Bidjan Saberi : Fin d’un chapitre, signal d’alarme pour la mode indépendante

By on 26/05/2025

En annonçant la fermeture de sa maison en juillet 2025, Boris Bidjan Saberi ne met pas simplement un terme à vingt ans d’expérimentation textile et formelle. Il révèle, sans bruit ni provocation, l’essoufflement d’un modèle : celui de la marque indépendante, créative, artisanale, prise en étau entre exigences industrielles et hégémonie des grands groupes.

 

Un créateur radical, entre cultures et matières

Né en 1978 à Munich d’un père ingénieur textile iranien et d’une mère germano-irlandaise designer, Boris Bidjan Saberi incarne un syncrétisme rare dans la mode contemporaine. Après des études de design à Barcelone, il fonde sa marque éponyme en 2006. Très vite, il se distingue par un vocabulaire vestimentaire unique, à la fois monacal et organique, influencé par les cultures du Moyen-Orient, l’univers du skate, et une fascination pour la teinture artisanale et les matières extrêmes.

Ses silhouettes sombres, souvent déconstruites, faites de cuir de kangourou, de coton huilé ou de tissus techniques teints à la main, évoquent des guerriers urbains ou des nomades post-industriels. Chaque vêtement est une pièce de recherche, un objet qui raconte une tension entre brutalité et raffinement.

Deux lignes, un même langage

En 2013, Saberi crée « 11 by Boris Bidjan Saberi », une ligne plus accessible et orientée vers le streetwear technique. Inspirée par la numérologie (le 11 étant pour lui un chiffre symbolique de dualité et d’énergie), cette seconde ligne conserve les codes esthétiques de la marque principale tout en adoptant des coupes plus fonctionnelles et des prix plus modérés. Elle deviendra un pont entre ses racines artisanales et un public plus large, sans jamais céder aux concessions commerciales habituelles.

Collaborations : la transversalité comme principe

Boris Bidjan Saberi s’est également illustré par des collaborations fortes, cohérentes avec sa vision chez:

  • Salomon : des modèles de chaussures techniques revisités dans un esprit urbain sombre, devenus cultes dans le milieu du streetwear expérimental.
  • Reebok : pour le 20e anniversaire de la Instapump Fury, Saberi revisite cette icône avec des textures et des contrastes inédits.
  • Linda Farrow et DITA Eyewear : collections de lunettes futuristes et architecturales.
  • Geza Schoen : création d’un parfum conceptuel inspiré de l’atmosphère olfactive de son atelier.
  • Phil America : collaboration artistique autour des thèmes de l’identité et des marges urbaines.

Ces projets traduisent une volonté constante d’explorer la porosité entre mode, art, fonction et technologie.

Une fermeture qui interroge plus qu’elle ne déçoit

En mai 2025, Saberi annonce que sa marque cessera toute activité d’ici juillet, invoquant une réalité de production devenue insoutenable.

« Sous les conditions actuelles, et sans relocaliser la production, il nous est impossible de maintenir nos standards de qualité, d’intégrité et de constance. »

Le ton n’est pas amer. Il est lucide. Ce départ ne traduit pas un épuisement créatif, mais un refus de compromis industriel.

« Ce stock sera le dernier que nous aurons après 20 années d’expérience. »

Les dernières pièces seront disponibles via sa boutique barcelonaise, son site en ligne, et des ventes directes. Mais au-delà de ce solde final, c’est un modèle artisanal et indépendant qui tire sa révérence.

Une transition plutôt qu’un adieu

« Boris Bidjan Saberi n’a pas quitté la scène. Ce n’est pas une fin, mais une mutation. »

À travers cette déclaration, le designer ouvre la voie à une autre manière de créer : peut-être plus ponctuelle, en capsules, en collaborations libres, ou via des formats digitaux. Il ne s’agit pas d’une disparition, mais d’un recentrage : un retrait stratégique du circuit industriel pour préserver une liberté de ton, de geste, de pensée.

Quand les géants asphyxient l’indépendance

La fermeture de la maison Saberi illustre une réalité que beaucoup préfèrent ignorer : être une marque indépendante aujourd’hui relève presque de l’acte de résistance. Face à la domination des grands groupes (LVMH, Kering, Richemont) et leur puissance médiatique, logistique, algorithmique, il devient extrêmement difficile de rivaliser, même avec une identité forte.

Le modèle économique de la mode contemporaine, basé sur la croissance, la surproduction et l’hypervisibilité, laisse peu de place à la lenteur, à l’expérimentation, à la marge. Saberi n’a pas échoué. Il a refusé de sacrifier son langage à la logique du volume.

 

Dans un contexte où la créativité se retrouve souvent formatée par les impératifs du clic, de l’instantanéité ou du marketing de masse, le cas Boris Bidjan Saberi ouvre un débat nécessaire : quelle place pour les créateurs radicaux dans une industrie qui valorise de moins en moins la singularité ?

En se retirant temporairement du système, Saberi ne ferme pas la porte. Il esquisse peut-être un autre futur pour la mode indépendante, plus agile, plus libre, et fondée sur une relation directe entre le créateur et son public.

Et si, à l’heure des algorithmes, la vraie rareté redevenait la sincérité ?

boris_bidjan_saberi_show_ss_2029_courtesy_boris_bidjan_saberi Boris Bidjan Saberi, collection printemps-été 2029

Frédéric Blanc

About Fred

Frédéric Blanc, styliste photo, attaché de presse et fashion éditor de Fashion-spider, le magazine spécialisé mode et beauté, fait partie des figures incontournables de Paris.

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